Transparence et devoir d'information dans la cession de parts sociales : analyse et jurisprudence
DROIT DES SOCIÉTÉSDROIT COMMERCIAL
Lionel LE NOAY
10/13/20245 min read
La cession de parts sociales est un acte juridique complexe qui pose de nombreuses questions, notamment en ce qui concerne le devoir d'information et la réticence dolosive. Un arrêt récent de la Cour de cassation, daté du 18 septembre 2024 (Cass. com., 18 sept. 2024, n°23-10.183, F-B), nous offre l'occasion de revenir sur les principes fondamentaux en la matière.
Le contexte de l'affaire :
Dans cette affaire, un associé a cédé la totalité des parts sociales de sa société à une personne physique. Le cessionnaire, estimant que l'associé avait commis une réticence dolosive en ne l'informant pas sur le passif de la société, a demandé l'annulation de la cession. La cour d'appel de Paris a rejeté cette demande, arguant que le cessionnaire, compte tenu de son expérience dans la gestion des sociétés, aurait dû se renseigner sur la situation financière de la société avant la cession.
La réticence dolosive, en droit des contrats, se caractérise par la dissimulation intentionnelle d’une information déterminante pour le consentement du cocontractant. En l'occurrence, le cédant aurait dû communiquer des informations complètes et transparentes concernant le passif de la société, notamment si ce dernier était de nature à influencer la décision d’achat des parts sociales par le cessionnaire.
La décision de la Cour de cassation :
La Cour de cassation a censuré la décision de la cour d'appel. Elle a rappelé que, selon les articles 1137 et 1139 du Code civil, la dissimulation intentionnelle d'une information déterminante par l'un des cocontractants constitue un dol, et que l'erreur résultant d'un dol est toujours excusable. Ainsi, la cour d'appel ne pouvait pas valablement exiger du cessionnaire qu'il se renseigne sur la situation financière de la société avant la cession pour exclure l'existence d'une réticence dolosive.
Cet arrêt met en lumière l'importance de la bonne foi et de l'obligation d'information dans les transactions de cession de parts sociales. Le cédant a une obligation de transparence et doit fournir toutes les informations pertinentes et déterminantes pour permettre au cessionnaire de prendre une décision éclairée. En omettant délibérément de divulguer des informations cruciales, le cédant se rend coupable de dol par réticence.
Les principes retenus par la Cour de cassation
La Cour de cassation s'appuie sur plusieurs principes bien établis en droit commun :
· Le dol par réticence : La dissimulation intentionnelle d'une information déterminante pour le consentement de l'autre partie est constitutive de dol (article 1137 du Code civil). Le dol peut résulter du silence gardé sur une information qui, si elle avait été connue, aurait empêché l'autre partie de contracter ou l'aurait poussée à le faire à des conditions différentes.
· L'erreur excusable : L'erreur provoquée par un dol est toujours excusable (article 1139 du Code civil). Cela signifie que l'acheteur trompé par une réticence dolosive n'est pas tenu de vérifier chaque information ou de suspecter une dissimulation de la part du vendeur.
La portée de l'obligation d'information
La Haute Juridiction insiste sur l'obligation de fournir à son cocontractant toute information de nature à influencer son consentement, conformément à l'article 1112-1 du Code civil. Cette obligation ne contredit ni les enseignements de l'arrêt Baldus ni les dispositions relatives à la cession de droits sociaux.
En effet, l'article 1112-1 dispose que « celui qui sait qu'une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre partie lui est inconnue doit l'en informer, dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ». Ainsi, le cédant doit informer le cessionnaire des éléments déterminants concernant la société, y compris les passifs potentiels, les litiges en cours, ou toute autre information pouvant affecter la valeur des parts sociales.
L'exclusion de l'erreur inexcusable :
La Cour de cassation réaffirme qu'un vendeur ne peut invoquer la négligence de l'acheteur dans sa recherche d'information s'il a lui-même commis un dol. Cette position met fin aux débats doctrinaux et aux divergences jurisprudentielles sur la question de l'erreur excusable.
Le principe de l'erreur inexcusable ne peut être opposé au cessionnaire trompé par une réticence dolosive, car il serait injuste de tenir l'acheteur pour responsable de ne pas avoir découvert par ses propres moyens une information délibérément occultée par le vendeur. La bonne foi et la transparence sont des piliers essentiels du droit des contrats, et cet arrêt renforce la protection des parties contre les pratiques déloyales.
Recommandations pour les praticiens :
À la lumière de cette jurisprudence, il est crucial pour les praticiens du droit de conseiller leurs clients sur plusieurs points clés lors d’une cession de parts sociales :
Pour le cédant :
Transparence totale : Le cédant doit divulguer toutes les informations financières pertinentes, y compris les dettes et les contrats en cours. Toute omission volontaire peut être considérée comme une réticence dolosive.
Documentation : Il est prudent de documenter toutes les communications et divulgations d'informations faites au cessionnaire pour se protéger contre les accusations de dol.
Préparation méticuleuse : Avant de procéder à la cession, le cédant doit s'assurer que tous les rapports et documents financiers sont à jour et reflètent fidèlement la situation de l'entreprise. Un audit préalable peut être une étape judicieuse pour éviter toute future contestation.
Pour le cessionnaire :
Due diligence approfondie : Même si l'erreur due au dol est excusable, il est toujours préférable que le cessionnaire effectue une vérification approfondie de la situation financière de l'entreprise.
Recours juridique : En cas de découverte de réticence dolosive après la cession, le cessionnaire peut demander l'annulation de la cession. L'assistance d'un avocat est essentielle pour monter un dossier solide.
Examen détaillé des communications : Le cessionnaire doit conserver une trace de toutes les correspondances et documents reçus du cédant. Cela peut servir de preuve en cas de litige.
Conclusion
Cet arrêt de la Cour de cassation du 18 septembre 2024 réaffirme des principes fondamentaux en matière de cession de parts sociales et de devoir d'information. La dissimulation d'informations déterminantes par le cédant constitue un dol, et l'erreur qui en découle est toujours excusable. Les cédants doivent donc être particulièrement vigilants et transparents lors de la cession de parts sociales pour éviter toute contestation ultérieure.
Ainsi, il est crucial pour les cédants de respecter leur obligation d'information et d'agir de bonne foi pour garantir la validité des transactions et éviter les litiges potentiels. De même, les cessionnaires doivent être conscients de leurs droits et savoir qu'ils peuvent se retourner contre le cédant en cas de dol par réticence.
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